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藝評


Gaylord Chan en son atelier (in French)
敖樹克 (Gerard HENRY)
at 3:05pm on 24th July 2020


Caption:
Gaylord Chan, Colorgon



(原文以法文發表,題為〈在陳餘生的工作室〉。)


Le décès ce 22 juin 2020, à 95 ans, de l''artiste hongkongais Gaylord Chan, est l''occasion de redécouvrir une longue carrière d’artiste ponctuée de nombreux revers et obstacles, et qui s’inscrit dans l’histoire de l’art moderne et contemporain de Hong Kong. “A l’âge de 90 ans, l’artiste hongkongais Gaylord Chan est un tsunami plein d’énergie, disait Ian Findlay-Brown. Son œuvre robuste montre qu’il n’a jamais eu peur de l’expérimentation tout au long de décennies d’une création prolifique.” Le récit de la visite que je fis de son atelier il y a quinze ans ne démentira pas ce jugement car on y retrouve l’artiste dans toute sa superbe. Retour sur une visite à l''atelier de Tai Po dans les Nouveaux Territoires en 2002.

Heure de pointe d’un samedi soir, dans les rames, d’un métro bondé. Gaylord Chan appelle au même moment sur mon portable : “Gérard, je vous attendrai à Tai Po Market à 8 heures moins dix, près de la station de taxis. Ma voiture est petite et rouge.” J’ai plaisir à remonter dans ce train que j’utilisais des années auparavant pour aller à l’université chinoise.

Les yeux collés à la vitre, je cherche au loin des lumières, tentant une reconnaissance nocturne du chemin tracé par les rails. Fascination de voir surgir et se dresser soudainement sous le regard ces villes nouvelles, compactes comme des forteresses, toutes troussées en hauteur et brillant de milliers de feux dans la nuit, comme un gros gâteau d’anniversaire. La nuit, elles s’enveloppent de beauté, comme si elles rentraient dans les arcanes d’un conte tissé de magie et de poésie. Le jour, elles se durcissent sous la lumière, enfer d’étages, de passerelles et de bétons gris, bâtis sur des supermarchés qui plongent dans leurs galeries marbrées et miroitent jusque dans leurs entrailles. Mais le train roule maintenant en bordure de mer et s’approche de Tai Po, une autre ville hérissée de lumières se mirant dans ce bras de mer.


Né en 1925, Gaylord Chan est une figure de la scène artistique hongkongaise depuis les années 1970

Gaylord a le rire tonitruant et le verbe haut, une panse bombant qui indique l’amateur de bonne chair il m’attend et me fait des signes, débout à côté de sa petite auto rouge. C’est un solide gaillard, grand, les épaules larges, les cheveux gris demi-longs flottant sur une tête solide, au nez fort et aux lèvres charnues. A peine le moteur est-il en route, que de ces yeux rieurs derrière de larges lunettes il commente avec humour la beauté des Occidentales et des Chinoises sortant de la gare, demandant mon avis. Je le sais très sensible au charme féminin et son âge ne retire rien à toute sa verdeur oratoire.

Taipo Plaza, Nouveaux Territoires. Chaque samedi soir, ses élèves arrivent un à un, une bouteille de vin, une boîte de canard laqué ou un sac de fruits à la main. Ils poussent la porte toujours ouverte de la Culture Corner Art Academy, antre accueillant de leur maître, le peintre Gaylord Chan. C’est là que se trouve son atelier et la petite école d’art dont s’occupe son épouse, Josephine Chow. C’est là aussi que, chaque samedi soir, il donne son cours de peinture.

Cours peu orthodoxe et peu académique qui commence toujours par une table ronde avec force victuailles et débouchage de bonnes bouteilles (Gaylord Chan est en ce domaine un véritable épicurien et il n’est pas étonnant qu’il tente, en même temps que le goût de la peinture, de transmettre le goût du bon vin à ses étudiants). Cette mise en route peut durer quelques heures, d’autant plus que, parfois, quelques-uns de ses amis peintres viennent se joindre au groupe.


Sa peinture est vive, enjouée et pleine de mouvement

Gaylord Chan a gardé toute sa vigueur et poursuit sa carrière de peintre avec la même énergie. Son travail, que l’on peut voir dans de nombreux lieux publics (notamment pendant plusieurs années une grande tapisserie à l’entrée de Concert Hall, au HK Culturel Center, et une céramique géante à Central Station) est facilement reconnaissable : sur des fonds très colorés dont la texture est travaillée par l’application de nombreuses couches successives, flottent des formes simples, abstraites ou demi-figuratives de couleurs entières, rouges, bleus, verts, jaunes, délignées d’un fort trait noir. Il travaille à la fois la couleur qui sort directement du tube et la forme. Gaylord ne cache pas son admiration précoce pour Picasso et aussi pour les arts primitifs. Sa peinture est vive, enjouée et pleine de mouvement.

Avec ses élèves, Gaylord emploie les mêmes principes qui régissent son travail. Il rappelle souvent l’enseignement du Bauhaus, qui fut pour lui une forte source d’inspiration : “Le bauhaus brise les choses en éléments de base, formes et couleurs, j’essaie de les remettre ensemble. Ce groupe d’étudiants du samedi le suit depuis 1993. “Les gens ont une idée fixe de ce qu’est une peinture. Si vous avez une idée fixe, vous ne pouvez pas peindre. Je dois guider mes étudiants pour qu’ils ne soient pas influencés par des règles. D’abord, je leur montre des diapositives de paysages ordinaires, pour faire revivre leur vision, aiguiser leur regard.”

“Quand vous ouvrez les yeux, vous voyez quelque chose de plein, de vide, de solide, de liquide, de clair, d’obscur. C’est la grammaire de la vision” 

“Et après, la forme, la couleur, la texture. Vous pouvez faire une peinture avec cette grammaire. Que votre technique soit assez bonne, c’est là votre problème ! Si vous êtes capable de maîtriser cela, vous créerez votre propre vocabulaire.”

Mais les rendez-vous du samedi soir à l’atelier de Gaylord sont aussi de vraies parties de plaisir où l’on boit, où l’on discute à bâtons rompus, on plaisante et on rit beaucoup. Ils finissent souvent aux petites heures du matin. Gaylord Chan, quant à lui, expérimente une nouvelle phase dans son travail qui a surpris tout le monde. Lui, peintre qui a toujours prisé la couleur, est passé abruptement au noir et blanc. “J’ai trop de souvenirs dans la tête, dit-il, et mes souvenirs ne se traduisent pas en couleur.”

On le sent en transition vers autre chose, car ses travaux en noir et blanc, couleurs qui ont tendance à dramatiser, sont de deux natures : dans certains on retrouve les formes aux contours bien définis, familières à ses œuvres en couleur, mais dans les autres, plus chargées émotionnellement, il n’y a plus ni contours précis ni formes identifiables, mais plutôt un magma sombre, comme si Gaylord Chan rentrait en lui-même, explorer le subconscient d’une vie riche en expériences.

Il avoue que l’accouchement de ces toiles a été douloureux et difficile, certaines ont d’ailleurs l’air inachevé et semble porter les hésitations du peintre. Mais elles répondent à un besoin intérieur. “J’ai ressenti de la satisfaction, ajoute-t-il. Ce n’est pas une nouvelle direction, je sens que c’est quelque chose de neuf.” Il expose à Hong Kong pour son 90e anniversaire ses derniers travaux, une occasion pour ses nombreux amis et les amateurs de son œuvre de célébrer une longue carrière d’artiste ponctuée de nombreux revers et obstacles qu’il surpassa avec grand courage et détermination et qui s’inscrit dans l’histoire de l’art moderne et contemporain de Hong Kong.


法文原文刊於Petit Journal,2020年6月24日。
This article in French was originally published in Petit Journal on 24 June 2020.



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